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"Chaque génération se croit plus intelligente que la précédente et plus sage que la suivante" G. Orwell.

07 Mar

Le Lobbying, renfort de la démocratie ?

Publié par M.L  - Catégories :  #Démocratie, #Lobbying

Le Lobbying, renfort de la démocratie ?

J’estime qu’une influence n’est pas bonne ou mauvaise d’une manière absolue, mais simplement par rapport à qui la subit.

André Gide

Le Lobbying, renfort de la démocratie ?

« L’intérêt général transcende les volontés individuelles ». Depuis le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau, la conception française de l’intérêt général empêche de porter un regard objectif sur l’activité de lobbying. Outre-manche pourtant, les groupes d’intérêts sont depuis longtemps des interlocuteurs légitimes du décideur public. Existe-t-il un tabou français ?

Un tabou français

A de rares exceptions près, le lobbying continue d’être présenté en France comme une activité naturellement antidémocratique. Le lobbying traduirait l’influence d’hommes et de femmes, capables d’agir sur la décision publique par le recours à des stratégies occultes et pernicieuses. En outre, le rôle du lobbyiste (représenter un intérêt particulier) s’opposerait dans son essence même au principe d’intérêt général dont la loi a pour finalité d’assurer la satisfaction. Dans une large majorité, le champ médiatique contribue à entretenir ces stigmates qui relèvent davantage du fantasme que de la réalité[1]. La déconstruction de ces représentations nécessite de s’arrêter un instant sur l’histoire de ce tabou français, hérité de la philosophie des Lumières.

Avec Du Contrat Social[2], Jean-Jacques Rousseau a vraisemblablement donné à la France une de ses plus éminente œuvre politique. Son concept de Volonté Générale a permis notamment de penser l’unité du corps social et de transférer la souveraineté du roi vers le peuple. Dans cet esprit, l’article 3 de la DDHC de 1789 dispose que «le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». Aujourd’hui encore, cette conception unitaire de la Nation continue de structurer notre socle juridique. L’article 1er de la Constitution de 1958 précise en ce sens que « La nation est une République indivisible […] » et l’article 6 fait de la loi « […] l’expression de la volonté générale ». De fait, en France, toute revendication catégorielle est contraire à l’esprit de la loi censée garantir l’expression de l’intérêt général[3]. Autrement dit, le législateur ne doit subir aucune influence de la part de quelconque corps d’intérêts dans son travail d’écriture de la loi. L’article 27 de la Constitution qui prohibe le mandat impératif veille au respect de l’indépendance du législateur. L’approche anglo-saxonne de l’intérêt général diffère radicalement. Caractérisée par cette phrase de Margaret Thatcher « La société n’existe pas. Il n’existe que des individus », elle définie l’intérêt général comme la somme des intérêts particuliers. Ainsi, l’activité de lobbying est rendue parfaitement légitime puisque participant à la réalisation de l’idéal démocratique.

Député, sénateur ou super-héros ?

Ces schèmes de pensée hérités des Lumières empêchent toute lecture réaliste du travail législatif. Ainsi, nous continuons de prêter au décideur public des qualités surnaturelles. Son omniscience lui permettrait de satisfaire en permanence aux exigences de tous les groupes économiques et sociaux. De leur côté, les Représentants cultivent ce mythe de « l’élu de la Nation » bien que leur activité parlementaire réponde en priorité aux attentes de leurs administrés. Aussi, la pratique du lobbying continue de souffrir d’une l’hypocrisie généralisée. D’une part, le citoyen « ordinaire » conserve l’image d’une profession nocive et obscure. D’autre part, le responsable politique se garde bien de reconnaître non seulement que les groupes d’intérêts participent depuis toujours à l’édiction de la norme mais que celle-ci est bien souvent taillée sur mesure pour les intérêts catégorielsIl se pourrait même que la défense des « grands principes » offre un paravent idéal à la promotion des « petits avantages»…Tout comme la condamnation de rigueur du lobbyisme ouvert à l’anglo-saxonne dissimule des conflits d’intérêts encore plus graves en France. Le piètre rang de notre pays en matière de lutte contre la corruption en témoigne.

Depuis quelques années pourtant, la France est au cœur d’une double (r)évolution avec d’une part, la remise en cause de la conception « classique » de l’intérêt général et de l’autre, la consécration d’un nouvel impératif juridique : celui de l’efficacité des normes. Dans cette perspective, ce n’est plus le caractère intrinsèque de la loi (règle légistique, identité de l’auteur) qui fonde sa légitimité mais son efficacité[4]. Même le président du Conseil Constitutionnel d’alors, Pierre Mazeaud condamne les « lois trop bavardes »[5] et appellent de ses vœux à une production normative plus sérieuse.

La révision constitutionnelle de 2008, en généralisant l’étude d’impact, apporte peut-être une solution à ce problème. Concrètement, depuis la loi organique du 15 avril 2009[6], chaque projet de loi doit être accompagné d’une réflexion prospective sur ses éventuelles conséquences politiques, sociales et économiques. Pour répondre à ce nouvel impératif, l’expertise des groupes d’intérêts s’avère indispensable. A ce propos, depuis quelques années, les auditions de représentants d’intérêts en commission parlementaire ne cessent de croître. Cette attention portée aux arguments des lobbies accrédite l’idée d’une loi plus légitime dans la mesure où les groupes sociaux participent directement à son élaboration. Plus globalement, c’est le passage de la démocratie représentative à la démocratie participative auquel nous sommes en train de participer.

L’émergence de la question des groupes d’intérêts au Parlement

Dans ce contexte, le 27 février 2013, suite aux conclusions du rapport Sirugue[7], le Bureau de l’Assemblée nationale adopte une nouvelle règlementation destinée à repenser les relations entre parlementaires et lobbies. Le rapport prévoit notamment l’inscription automatique des représentants d’intérêts sur un registre public ou encore de nouvelles modalités d’accès pour les groupes d’intérêts au Parlement. Si le document impulse une nouvelle dynamique, l’hypocrisie politique autour de cette activité demeure. Ainsi, seul le Parlement (Assemblée nationale et Sénat) est visé par le texte. Pourtant, bien que le rôle législatif de ces deux institutions justifie une intervention prioritaire, le Parlement n’est qu’un instrument parmi d’autres dans le processus de production de normes (Conseil constitutionnel, Conseil d’Etat). En outre, le rapport ne prévoit aucune augmentation de moyens visant à sanctionner d’éventuelles pratiques abusives. Pour preuve, depuis sa nomination en octobre 2012, Noëlle Lenoir continue d’assurer seule la fonction de déontologue à l’Assemblée nationale. Problème : Elle dispose de moyens financiers limités et n’a aucun pouvoir d’investigation. De son propre aveu, son rôle consiste principalement à « vérifier les déclarations d’intérêts des députés »[8].

Ce manque de volonté politique est à mettre en perspective avec le manque de sécurité juridique dont souffre le lobbying. Dans ses travaux, le professeur de droit public Grégory Houillon déplore justement le vide juridique concernant le lobbying en France[9]. Selon lui, l’activité des représentants d’intérêts reste fragile et risquée car simplement encadrée par l’article 433-2 du Code pénal[10] relatif à la corruption active et au trafic d’influence. Cette incertitude constitue un facteur de risque supplémentaire pour les lobbyistes qui sont contraints d’agir dans un cadre juridique flou. En définitive, si le droit ne peut déjà plus se passer du lobbying (l’écriture de la loi nécessite la prise en compte des groupes d’intérêts), l’inverse est tout aussi vrai. L’Etat, qui reconnait déjà la légitimité de certains corps d’intérêts (syndicats, ONG) ne peut alimenter cette ambiguïté plus longtemps. La timidité du Politique témoigne d’une dilution des convictions car comme le soulignait à juste titre André Gide, « ceux qui craignent les influences et s’y dérobent font le tacite aveu de la pauvreté de leur âme »[11].

Mathieu Lyoen

Crédit photo: flickr: fiex

[1] F. Dedieu et B. Mathieu, « Les lobbies qui tiennent la France », L’Express, n°774, mai 2012.

[2] J.J. Rousseau, Du Contrat social ou Principes du Droit Politique, Marc-Michel Rey, Amsterdam, 1762.

[3] « Quand tout le peuple statue sur tout le peuple […] alors la matière sur laquelle on statue est générale comme la volonté qui statue. C’est cela que j’appelle une loi », Du Contrat social, Tome II, chap. 6.

[4] J. Commaille, « […] le droit et l’action publique ne se justifient plus que par leurs résultats […] », in D. Alland et S. Rials, Dictionnaire de culture juridique, 2003, p 584.

[5] Vœux du Président du Conseil Constitutionnel Pierre Mazeaud au Président de la République, 3 janvier 2005.

[6] Loi organique n°2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution

[7] Rapport du groupe de travail sur les lobbies à l’Assemblée nationale, présidé par Christophe Sirugue, Député de la 3e circonscription de Saône et Loire, 27 février 2013.

[8] Interview de Noëlle Lenoir, Atlantico.fr, 6 décembre 2013

[9] G. Houillon, Le lobbying en droit public, Editions Brylant, 2012, 1126 pages.

[10] www.legifrance.gouv.fr

[11] A. Gide, De l’influence en littérature, Editions Allia, septembre 2010, 48 pages.

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"Chaque génération se croit plus intelligente que la précédente et plus sage que la suivante" G. Orwell.